mercredi 14 octobre 2009

Expliciter le programme... (partie 1)

A relire le post introductif, je m'aperçois combien les lignes directrices de ce blog sont tacites. Essayons-nous donc à plus de clarté... Manifestement ce blog ne traitera pas de l'actualité. Ou plutôt, il ne se préoccupera pas de donner un point de vue contingent aux débats qui animent les discussions journalistiques. Il s'agira d'essayer de mettre en lumière comment une épistémologie du corps oblige à repenser les théories qui structurent notre compréhension du monde. J'attire votre attention sur le fait que ces théories ne sont pas nécessairement scientifiques, chacun a des théories profanes sur le monde, le chercheur également, et parfois les théories profanes de celui-ci se confondent avec ses positions scientifiques.
Afin d'illustrer l'intérêt de la démarche, je vous suggère d'examiner au fil de ce blog quelques questions...

Commençons par le droit (je sais que quelques juristes me liront un peu)...
Le corps ou ses éléments ne sauraient être l'objet d'un contrat. Le corps est exclu du commerce juridique. Soit. Mais est-ce le seul moyen de considérer le corps en droit ? A défaut d'être l'objet d'un contrat, le corps peut-il en influencer la conclusion (ou le déroulement) ? Dans le cas du dol par exemple, peut-on considérer qu'un regard, un geste, une émotion ou une impulsion a trahi la volonté du cocontractant ?
La première chose qui vient à l'esprit du juriste est la suivante: "mouais, il est bien gentil avec sa question mais comment le juge appréciera-t-il le regard ou le geste, les émotions ou les impulsions..."
La première réponse qui me vient à l'esprit est la suivante: "peu importe comment le juge appréciera le regard ou le geste, les émotions ou les impulsions, le dol est psychologique donc il peut appréhender le corps par des voies détournées (et le voies détournées sont impénétrables...)"

La réponse peut certes laisser le juriste sur sa faim mais elle pose un autre problème, au niveau de la psychologie cette fois-ci: peut-on considérer le corps dans la psychologie du cocontractant ? Bref, le corps joue-t-il un rôle dans nos prises de décision ?
La psychologue donnera une réponse variable selon son obédience théorique et son champ d'intérêt mais prendre position sur cette question oblige à accepter une chose: le corps pose problème dans nos schémas de pensée. Un contrat ne saurait être considéré en psychologie comme une décision appartenant à un "processus de bas niveau" (la formule consacrée, en dit long sur la place du corps...). C'est un "processus de haut niveau" c'est-à-dire qu'il suppose une réflexion, une délibération, etc. En principe, le juge devrait donc faire fi du corps dans une prise de décision.

Pour résumer sur ce point, pour le juriste, le corps n'est pas un objet du contrat mais rien ne laisse entendre en droit que le corps est sujet du contrat (sauf à lire entre les lignes Jean Carbonnier). Néanmoins le juge peut prendre en compte une influence corporelle en examinant la psychologie des cocontractants.
Pour le psychologue, classiquement, le corps est exclu du traitement de haut niveau. Donc prendre en compte le corps sous l'empire de l'argument psychologique dans le contrat est aporétique...

D'ailleurs, au soutien de la position du psychologue, vient l'économiste... Essayons de raisonner comme l'économiste des contrats. "Supposons" que nous ayons un contrat à signer avec un autre acteur (le mot acteur est fort, il se distingue de celui d'agent, nous y reviendrons), comment être sûr que nous prenons la décision qui satisfait au mieux notre intérêt ? A-t-on toute l'information disponible sur notre cocontractant ? Bref, nous cache-t-il quelque chose ? Cette idée qui est celle des asymétries d'information (Akerlof, Stiglitz et d'autres) n'est qu'une forme d'actualisation du dol consacré dans le Code civil depuis 1804. Prend-elle en compte le corps ? Assurément pas. Un manuel de 500 pages sur l'économie des contrats peut s'asseoir sur le corps sans aucun problème: il ne donne pas lieu à la prise de décision, les informations corporelles sont négligées, etc. Ce n'est pas faute de parler de comportement. Williamson notre dernier "Nobel d'économie" en herbe parle de "comportement" opportuniste (au fond assez proche des asymétries d'information), sans aborder jamais le corps... Pour l'économiste, on peut donc en principe se "comporter" sans avoir de "corps"...

L'économiste donne donc raison au psychologue qui cantonne le corps au bas niveau (ou plutôt aux bas morceaux - nous reviendrons sur les bas morceaux avec Kurt Lewin...) et s'en détache sur ce motif.
Bref, c'est le juge qui est dans l'erreur s'il prend en compte le corps pour trancher un litige (comme un cas de dol) sur un contrat. En d'autres termes, la réalité juridique fait une erreur théorique !

C'est parce que je refuse de penser que la réalité se trompe lorsqu'elle ne suit pas un modèle théorique et c 'est parce que je m'oppose fermement au souhait sous-jacent de nombre d'auteurs de faire tendre la réalité vers un modèle théorique que j'ai mis en exergue la phrase suivante de Varela sur ce blog (et ailleurs...): "Je confesse un penchant pour l'hétérodoxie, et un grand appétit pour la diversité."

Je poursuivrai bientôt le fil de mon raisonnement en examinant d'autres points dans la lignée de ce post. J'essaierai de la compléter car il ne vous a pas échappé qu'il laisse encore à désirer sur bien des points.
Pour vous donner l'horizon de la réflexion: j'essaierai de vous montrer en recourant à des auteurs en philosophie, en linguistique, en neurosciences, en gestion, en sociologie, en anthropologie, en psychologie, en droit, en économie, en ergonomie, en design et en physique qu'en évinçant le corps dans notre compréhension de la Femme et de l'Homme nous avons un peu perdu de notre Humanité...

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