samedi 24 octobre 2009

Expliciter le programme... (partie 3)

Bonjour à tous, dans mon dernier post en date du jeudi 15 octobre, je vous laissais sur ces quatre points:
"Pour nous résumer, j'ai avancé comme arguments dirimants :
- que le corps est le fond de notre conception de l'action,
- que sans lui nous sommes incapables de donner sens aux choses,
- qu'il est inconcevable de penser l'implicite sans le corps,
- et, fondamentalement, que négliger le corps dans un modèle théorique revient à condamner toute pratique comme fausse."

Je vais tout d'abord me livrer à une tentative d'explication de la première affirmation: "le corps est le fond de notre conception de l'action". L'affirmation peut apparaître un peu plate: "Certainement, il n'y a pas d'action sans corps puisque c'est notre moyen d'agir sur le monde." Soit. Vue sous cet angle, l'affirmation est un truisme. Mais à la vérité il faut y regarder de plus près. L'assertion est un peu plus fine: "le corps est le fond de notre conception de l'action." Il est question de "conception". Bien. Cela ne fait que remettre le problème à un autre mot. Peut-être mais cela rompt avec certains schémas de pensée...

Expliquons-nous. Parler de "conception" c'est parler de quelque chose que l'on va faire. En quelque sorte c'est parler de l'avenir, fut-ce un avenir proche. C'est donc faire des anticipations. Pourtant combien de raisonnements sur les anticipations sont menés sans considération du corps ? Avez-vous déjà lu un article ou un manuel en économie qui présente les anticipations sous l'angle des influences corporelles ? Il en existe, j'y viendrai dans un autre post. Ce que je souhaite examiner pour l'instant c'est fondamentalement si l'on peut penser la cognition sans l'incorporation.

Une première chose surgit à l'esprit du lecteur éveillé: "Stop ! Pourquoi est-on passé des anticipations à la cognition ?" Parce que les anticipations sont un aspect de la cognition. Le schéma est le suivant: faire une anticipation exige de mener un raisonnement, et qui dit raisonnement, dit cognition. Poursuivons. Imaginons donc que nous raisonnions sur l'avenir comme si nous n'avions pas de corps.

Pour formuler l'hypothèse comme un économiste: "Supposons que nous n'ayons pas de corps."

Par parenthèses, certains lecteurs, non rompus à l'exercice conceptuel en économie pourraient se dire: "Jamais un économiste ne poserait une hypothèse aussi farfelue ! C'est totalement irréaliste !". Et si je vous dis qu'il y a eu, des années durant, des modèles de commerce international sans prise en compte des coûts de transport ou de la distance qui sépare les pays qui commercent entre eux ? Mieux: et si je vous dis que, plus récemment, certains ont eu le "Prix Nobel" d'économie avec des modèles dont l'hypothèse est que nous connaissons la date de notre mort (ceci n'est - malheureusement - pas une blague) ?

Donc pourquoi ne pas supposer que nous n'avons "pas de corps" ? Essayons. Voyons si ce raisonnement tient. Suivons, par exemple, le raisonnement tenu par Stiglitz et Walsh dans leur présentation des anticipations au sein de leur ouvrage "Principes d'économie moderne" (2004, DeBoeck, 2° éd, p.395).

Ils présentent les trois grands types d'anticipation comme suit:

- les anticipations (que l'on pourrait qualifier de) "myopes": les individus "anticipent que ce qui est vrai aujourd'hui le sera également demain"

- les anticipations "adaptatives": les individus peuvent "extrapoler les événements du passé récent vers l'avenir"

- les anticipations "rationnelles": "les individus utilisent la totalité de l'information pertinente passée et présente, pour élaborer leurs anticipations".

Voilà les trois grands types d'anticipation. Et alors, où est le problème ? Pour l'instant, il n'y en a pas puisque ces définitions ne nous donnent aucune information sur les mécanismes au coeur de la "formation" des anticipations. Que disent Stiglitz et Walsh ? Ils nous disent ceci: "Comment les particuliers et les entreprises élaborent-ils leurs anticipations ? En partie sur la base de l'expérience passée."

Là ça devient plus intéressant ! Deux questions viennent:

- La première (que je traiterai plus tard): "Avez-vous déjà croisé une entreprise qui se promenait dans la rue ?"

- La seconde : comment peut-on dissocier "la base de l'expérience passée" et le corps ?

Je m'attends à une réponse de la sorte: "Peu importe, on n'est pas obligé de prendre en compte le corps dans l'explication, d'ailleurs les extraits ci-dessus montrent que l'on peut définir les anticipations sans faire référence au corps." Très bien. Alors examinons si le corps est mobilisé au sein des illustrations données par Stiglitz et Walsh:

- au sujet des anticipations rationnelles : "A certains moments, elles seront exagérément optimistes, à d'autres exagérément pessimistes (même si, au moment où ils prennent leurs décisions, les individus ont conscience de la possibilité de tels biais)."(p.396)

- au sujet des rapports entre les anticipations et la courbe de demande: "Enfin les anticipations des individus (ce qu'ils envisagent pour le futur) peuvent déplacer les courbes de demande. Si quelqu'un craint d'être mis au chômage, il réduira ses dépenses. Les économistes disent dans ce cas que la courbe de demande dépend des anticipations." (p.74)

Les questions qui viennent sont les suivantes:

- comment peut-on avoir "conscience" de son état optimiste ou pessimiste sans son corps ?

- comment peut-on "craindre" quelque chose sans aucune modification de son état corporel ?

C'est étrange et c'est certainement dû à un "biais optimiste" de ma part mais je ne vois pas comment le corps peut-être évincé de l'explication des anticipations... D'ailleurs, il y a un auteur, et non des moindres, qui ne s'était pas trompé à ce sujet... J'ai nommé: JMK.

La suite ? Ce sera au prochain épisode.

4 commentaires:

  1. Fred, tes messages sont toujours postés à des horaires ronds (15, 20, 45...). Serais-tu réglé comme une horloge... suisse ? ;-)
    Dorian

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  2. Salut Dorian, dans le mouvement automatique de mes idées, le remontage manuel peut en effet aider la trotteuse à ne jamais rompre sa course continue et mes idées tourbillonnent alors sur une platine perlée... Au plaisir de te lire sur ce forum, Fred B.

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  3. La légende est telle que décrite dans le livre de la prophétie. Fred B nous sauveras de la fin du Monde !

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  4. "Non-axiomes.
    Pour être sain d'esprit et adapté, il faut qu'un individu se rende compte qu'il ne peut connaître tout ce qu'il y a à connaître.
    Il n'est pas suffisant de comprendre cette limitation sur le plan intellectuel. Cette compréhension doit être un processus ordonné et conditionné sur le plan inconscient comme sur le plan conscient. Un tel conditionnement est essentiel à une recherche équilibrée de la connaissance." (Van Vogt)

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