jeudi 24 décembre 2009

Comment reconnaître un grand auteur ? (Partie 2)

A l’issue du post précédent : "Comment reconnaître un grand auteur?", je concluais que :

pour identifier si un auteur est un grand auteur, il suffit de voir si le correcteur orthographique de Word le souligne en rouge ! C'est simple et ça évite de perdre du temps à se prendre la tête !

Mais la chose ne tardait pas à échapper à la sagacité du lecteur. Vince tout d’abord remarquait :

Enfin une attestation permettant de classer Friedman parmi les grands auteurs, de même que Robert Merton (qui, il est vrai profite peut être de son père) ou bien Gary Becker (grâce au réalisateur ou au tennisman?). Pas de chance pour Carbonnier, on regrette qu'il n'ait pas eu un petit fils footballeur ou acteur...

Les propos étaient lourds de sens : comment accepter, impassible, de mettre Milton Friedman ou encore Gary Becker parmi les grands auteurs ? Je me trouvais acculé à une difficulté de taille : compliquer l’exercice de détection des grands auteurs afin de ne pas corrompre l’Histoire de la Pensée. Je répondais à Vince en ces termes :

Salut Vince, merci pour ton commentaire et pour ta vigilance. C'est un problème. Il y a en effet une vraie inégalité entre les auteurs. Au hasard, M. Boeuf ou J.-C. Poireau sont consacrés dès leur naissance alors qu'à ma connaissance ils ne font que profiter des choses de la nature... Un autre post devra donc se livrer à une investigation complémentaire.

Il y avait là un autre élément, certains auteurs profitent d’une confusion au sein de Word : un aliment, un objet ou tout autre événement appartenant à une catégorie basique se trouvait légitimé dans l’Histoire de la Pensée par un logiciel. En d’autres termes, un (non) auteur dont le nom est homographe à celui d’un objet courant est susceptible de se glisser dans l’Histoire de la Pensée grâce à une suite logicielle.

Un point était à nouveau soulevé par un autre lecteur, L’escargot :

Carbonnier est souligné en rouge. Comment faire si on ne peut pas accorder une confiance aveugle à un logiciel développé par microsoft ?

Le problème est grave car il entame un exemple clé de mon raisonnement. J’assume cette erreur. En effet, j’expliquais à L’escargot que :

La première chose qui vient à l'idée de l'Homme de Bonne Foi est ceci: un logiciel essaie d'effacer Carbonnier de l'Histoire de la Pensée. Mais à la réflexion il vient également ceci: voilà que j'ai été trahi par la modification que j'ai moi-même faite au sein de mon correcteur ortografik: l'obliger à ignorer Carbonnier. La chose devient plus grave encore... 
Si, dans un premier temps, Carbonnier est souligné comme incongru, dans le second, il doit être ignoré pour ne pas être souligné... 
Alors je dois consentir à le reconnaître (en y joignant la précédente remarque dirimante de Vince): ma solution n'est pas adéquate. 
Je propose donc d'examiner plus largement comment un auteur est un grand auteur en circonscrivant ce qu'est un grand ouvrage ou un grand article pour être un grand auteur et ce qu'est une grande discipline pour accueillir un grand auteur d'un grand ouvrage ou d'un grand article.

Le programme de travail fixé est ambitieux (voire inaccessible):

  • circonscrire ce qu'est un grand ouvrage ou un grand article pour être un grand auteur
  • puis circonscrire ce qu'est une grande discipline pour accueillir un grand auteur d'un grand ouvrage ou d'un grand article
  • et enfin circonscrire ce qu’est un grand auteur.

Il faut donc repartir en amont tout en conservant à l’esprit qu’en réalité un auteur déjà reconnu comme grand peut écrire un grand article ou un grand ouvrage. Mais généralement il est grand car il a écrit quelque chose de "grand". Par ailleurs, il appert le fait qu’un grand ouvrage ou un grand article peut venir avant une grande discipline, les travaux d’Emile Durkheim en attestent: la sociologie n’était pas encore une "grande" discipline alors qu’elle accueillait déjà de "grandes" œuvres. Le besoin de définir une "grande discipline" reste toutefois posé.

L’escargot poursuivait dans un autre commentaire :

Le plus grave cher Blogger, c'est que je finis par comprendre vos propos : votre conclusion est qu'il existe certainement de grands auteurs (si tout le monde était un grand auteur il n'y aurait pas de grands auteurs), mais qu'il n'existe quasiment aucun moyen de les identifier. Un peu comme une vérité tout à fait inaccessible.
Votre solution est adéquate je pense dans la mesure où notre travail porterait sur une matière économique, pour l'occasion, tous les auteurs, même récents, présents au MIT ou à Harvard (prononcé à l'anglaise évidemment), seraient compris dans le correcteur orthographique. Conclusion, pour sauver nos auteurs, il nous faut créer un patch au correcteur de MicrosoftOffice afin d'intégrer nos auteurs, ceux qui reviendraient le plus souvent dans les écrits anciens et actuels. La récurrence d'un propos et de son auteur dans le champ de l'écriture parait être un bon moyen d'identifier les idées neuves et majeurs qui façonnent la pensée d'une matière.

Le première chose qui vient est que je me réjouis qu’un lecteur comprenne mon propos. J’entendais en effet souligner l’existence de grands auteurs (sinon comment proposerais-je de les identifier ?) et la quasi-absence de moyens de les identifier. D’ailleurs j’en venais à ceci:

Cher l'escargot, je reviendrai sur ton propos plus longuement en l'examinant point par point au sein d'un post qui fera suite à celui-ci. 
Pour l'essentiel, mon idée est la suivante: non pas que l'on ne puisse identifier un grand auteur, mais plutôt que l'on ignore par quel moyen cela s'effectue. 
Pour poursuivre ton analogie, la vérité n'est alors pas inaccessible mais indicible, appartenant au registre du tacite.

C’est là que je romps avec la solution originelle et son amélioration proposée par L’escargot. Au fond, un patch au correcteur orthographique est un pis-aller logiciel: la fréquence des écrits actuels et anciens, la récurrence d’un propos et de son auteur, sa position au sein d’une Université connue et reconnue n’attestent pas de la grandeur de son œuvre ou de son impact dans l’Histoire de la Pensée. Il n’en est rien. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de chercheurs et non d’auteurs ! Un chercheur peut être un Auteur. La réciproque est fausse. Tout Auteur n’est pas un chercheur. Comment distinguer ?

Tout d’abord: comment définir un chercheur ? Pour l’essentiel, un chercheur est une personne qui publie des travaux dans des revues à comité de lecture. "Des" travaux car il est parfois co-auteur donc ce ne sont pas uniquement les siens. Soit. Mais s’il est "co-auteur", n'est-il pas Auteur ? "auteur" oui, "Auteur" non. Pourquoi ? Parce qu’il y a actuellement plus de 10 millions d’articles publiés et peut-être 100 mille chercheurs (ou plus) publiant à travers le monde et que cela n’en fait pas autant d’Auteurs ou d’œuvres. Du point de vue juridique (celui de la propriété intellectuelle), oui. Du point de vue de l’Histoire de la Pensée, assurément non. Qui de Pascal, Gallilée, Copernic ou Giordano Bruno a publié dans une revue à comité de lecture ? Bref, le comité de lecture n’est pas discriminant pour entrer en résonance avec l’Histoire de la Pensée. Je rejoins là in fine le commentaire de L’escargot : "si tout le monde était un grand auteur il n'y aurait pas de grands auteurs". En d’autres termes, si tous les articles étaient de grandes œuvres, il n’y aurait pas de grandes œuvres, etc.

Alors, quid ? Et bien pour traiter ici de la question qui nous préoccupe –avant d’en venir dans un autre commentaire à m'exercer à la définition d’une grande discipline ou d’un grand ouvrage ou article–, pour distinguer le grand auteur du portrait du chercheur en Bon Père de Famille, je dirais qu’il suffit de se poser la question suivante : peut-on faire une thèse toute entière sur les travaux de cet auteur ? Dans l’affirmative, il s’agit d’un Auteur : il est dans l’Histoire de la Pensée parce qu’il a une Pensée susceptible d’être étudiée durant plusieurs années. Dans la négative, il s’agit d’un chercheur. Ses travaux sont certainement de qualité et d’intérêt mais s’ils sont information ou connaissance, ils ne sont pas une Pensée à part entière.

Voilà qui est heureux ! L’entrée dans l’Histoire de la Pensée a trait avec la thèse (et le thésard) ! Nous poursuivrons ailleurs (au sujet de l'œuvre et de la discipline qui l'accueille) dans l’idée qu’elle a également trait au tacite et aux incongruités.

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